Convocation

Shinichi voulait bien l'admettre : son devoir en sciences avait été désastreux. Enfin, si l'on pouvait dire désastreux d'un devoir dans lequel il avait juste noté ses nom et prénoms ainsi que la date du dit devoir. Il n'avait prêté aucune attention aux questions, n'avait pas tenté d'y répondre et se plaisait tout à fait dans l'échec scolaire. A quoi bon être bon en sciences de toute façon, ça ne lui redonnerait pas sa mémoire perdue, et ça ne lui rendrait pas son oeil droit. Jamais. Alors pourquoi se donner du mal ? Il avait bien compris qu'avec son handicap, trouver un emploi relèverait du miracle. Il n'était pas complètement stupide malgré ce qu'il tentait de laisser croire.

Cependant, ça n'avait pas paru plaire à son professeur qui le convoqua dans le bureau des professeurs. Shin avait hésité à y aller. Il allait recevoir un sermon ou alors il allait avoir le droit à des paroles blessantes, disant de lui qu'il était un imbécile et qu'il n'avait rien à faire dans cette école prestigieuse. Il n'avait pas le niveau. A son âge, se retrouver en première année, c'était déjà un signe flagrant de sa stupidité, non ? Alors pourquoi insister ?

Pourtant, il se décida tout de même à s'y rendre sachant que ça ne ferait que provoquer des problèmes s'il n'y allait pas. Il n'avait pas envie d'en recevoir une couche de plus alors qu'il allait de plus en plus mal. Il allait déjà devoir subir les paroles blessantes d'un professeur vexé de voir un élève si faible dans ses rangs alors autant ne pas en rajouter.

Les mains enfoncées dans les poches de son uniforme, la tenue négligée comme à son habitude, Shin se rendit d'un pas nonchalant vers la salle des professeurs. Pourtant, plus il l'approchait, plus son coeur battait fort. Il détestait les conflits, ça lui rappelait de désagréables sensations, de ce fait, il tentait de les fuir au possible. Alors il se contenterait d'hocher la tête, de demander pardon et de promettre faussement qu'il ferait des efforts au prochain devoir, ce qui était complètement irréaliste de sa part.

Prenant une profonde inspiration pour se reprendre et récupérer ce faciès de comédien, il frappa deux coups à la porte du bureau puis en ouvrit la porte.

" Sensei... vous m'avez demandé ? " fit-il, tête basse, le regard détourné, montrant bien qu'il ne désirait qu'une chose : fuir.

La journée s'était décidément mal passée pour Giacomo.
Il était arrivé dans l'Académie depuis deux jours déjà et rien ne se passait comme il le désirait. Il se sentait impuissant. Non, le mot n'était pas fort. Il se sentait vraiment comme prisonnier d'une enceinte de murs blancs.
Giacomo s'était rendu chez le directeur à son arrivé pour mettre les choses au point mais cet homme, cet imbécile n'avait rien voulu s'avoir.
Giacomo avait confiance en Masaki, ce garçon n'était pas du genre à mentir au contraire. Si il disait qu'il s'était fait violenter par un vampire fou c'était que c'était vrai. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître.
Tout ça juste parce qu'il n'était pas le tuteur légal de Masaki. La bonne blague ! La seule solution qu'il avait trouvé avait été de se faire embauché comme professeur de science.
Il avait du s'installer dans la pavillon de la Day Class, amener toutes ses affaires et commencer à voir son programme qu'il devrait s'efforcer, quand bien mal lui en fasse, de faire cours à des gamins.
Ah le directeur ne voulait pas admettre la présence d'un psychopate dans son Académie, et bien Giacomo se débrouillerait seul et protégerai son fils quel qu'en soit le prix.
Il avait donc fait son tout premier cours devant les élèves. Cela c'était moyennement bien passé.
Les élèves étaient très distant, voir carrément absent du cours. Certains bavardaient sans cesse, n'écoutait rien, ne faisait rien de ce qu'on leur demandait.
Giacomo avait vite montré son autorité et pour voir le niveau des élèves... et bien, il leur avait collé un contrôle.
Ce n'était pas négatif, loin de là, il voulait juste savoir ce qui n'allait pas.
Et voilà qu'un élève se payait le luxe de ne rien écrire sur sa copie. En tant que professeur, Giacomo n'avait eut d'autre choix que de le convoquer.
Maintenant il était là, assis contre une table, les jambes croisées, une tasse de café à la main (bien fort le café comme d'habitude) et le regard perdu vers la pendule qui émettait un tic-tac qui résonnait dans la salle vide.
Finalement, la porte s'ouvrit avec hésitation et la tignasse de cheveux roux apparut dans l'entrebâillement.

" Sensei... vous m'avez demandé ? " bredouilla le jeune homme, l'air fuyant.

Giacomo ne lui répondit que par un hochement de tête calme et doux avant de boire une dernière gorgée de son café qui était froid à présent.
Puis, il passa de l'autre côté de la table et prit une chaise au hasard; elle était couverte de miettes de gâteau. Il l'épousseta calmement et s'assit non pas de l'autre côté du jeune homme mais de son côté.
Comme celui ci ne semblait pas vouloir s'asseoir, Giacomo lui désigna une chaise avec une attitude toujours aussi posée.

"Et bien, qu'est-ce que vous attendez ? Asseillez vous, jeune homme."

Giacomo suivit le jeune du regard en posant son coude sur la table et posant sa tête au creux de sa main.
Un sourire s'esquissa sur son visage et il sembla sortir de sa mélancolie.

"Vous voulez quelque chose ? Café, thé ?"

La voix de l'italien était douce et posée mais avait quelque chose de poétique, de lyrique sûrement du à son accent léger.
Il se leva de nouveau et se dirigea vers la machine, laissant le jeune homme et se servant un nouveau café.
Ce jeune garçon avait un visage loin d'être désagréable et il semblait plus fuyant que insolent ce qui avait rassuré Giacomo largement.
L'italien revint vers lui, son sourire ayant disparu mais sa douceur aucunement. Il s'assit de nouveau pour se trouver au même niveau que le jeune homme et l'observa un instant sans rien dire. Il eut un soupir et commença par une question très simple.

"Vous êtes Monsieur Ashford n'est-ce pas ? Avez vous quelques problèmes avec les sciences où est-ce ma tête qui ne vous revient pas ?"

Son oeil unique avisa son professeur de sciences fraîchement débarqué et, après un hochement de tête affirmatif, le jeune étudiant entra dans la pièce, fermant la porte derrière lui. Il n'aimait pas ce genre de tête-à-tête. Et il savait que s'il ne voulait pas en avoir d'autres, il n'avait qu'à faire des efforts. Mais voilà. Il n'avait pas envie. Il ne voulait pas se donner les moyens et commençait même à douter sur le fait qu'il était peut-être vraiment stupide, en fin de compte. De son oeil émeraude, il observa Monsieur Roccelli qui buvait tranquillement une gorgée de café. En cet instant, Shin le trouva d'une grande classe. Il savait que les Italiens avaient toujours une grande classe en toute circonstance et son professeur de sciences ne dérogeait pas à la règle. Et, pendant un court instant, l'image d'un autre homme se superposa sur celle de Giacomo. Mais un instant si infime que Shin s'en rendit à peine compte. Il cligna des yeux et se reprit alors que son professeur amenait une chaise sur laquelle il s'installa.

"Et bien, qu'est-ce que vous attendez ? Asseillez vous, jeune homme."

Shin sursauta un instant, se disant qu'il devait paraitre bien stupide de rester debout comme ça à attendre le coup de bâton qui ne semblait pas venir. Rapidement, il s'installa en s'excusant, marquant ces paroles par un petit sourire de circonstance, un petit sourire qui trahissait sa gêne actuelle.

Et poliment, quand le professeur lui demanda s'il voulait boire quelque chose, Shinichi refusa. Assis correctement, les mains posées sur ses genoux, se retenant de ne pas jouer avec ses doigts, il attendait, un peu tassé sur lui-même, les remontrances. Parce que, derrière cette douceur, il était certain qu'il allait s'en prendre plein la figure.

"Vous êtes Monsieur Ashford n'est-ce pas ? Avez vous quelques problèmes avec les sciences où est-ce ma tête qui ne vous revient pas ?"

Son oeil unique s'écarquilla au possible alors que ses lèvres s'entrouvraient sous la surprise non feinte qu'il ressentit. Sa tête qui ne lui revenait pas ?

" Mais ... euh ... non .... " bafouilla-t-il difficilement, quelque peu dérouté par la question. Il ne s'attendait pas du tout à cela, vraiment pas ! " C'est que ... euh... Je ... "

Il soupira doucement et détourna le visage, résigné, posé.

" Je suis nul. J'ai trop de manque. J'ai trop de blancs à combler. Même en étant en première année, j'ai trop de retard. Alors ... je préfère éviter de vous faire perdre du temps. " admit-il, un petit sourire gêné aux lèvres. Pourtant, dans son oeil émeraude brillait une petite lueur triste.

Les premiers mots de son professeur lui firent plaisir, dans un certain sens. Il n'aimait pas être appelé par son nom de famille mais le fait que Giacomo lui fasse savoir qu'il n'était pas stupide effaça ce petit souci. Pourtant, bien vite, Shin déchanta. Il se renfrogna, préférant mille fois l'étude de ses chaussures plutôt que de supporter le regard de cet homme. Il n'aimait pas qu'on lui serve des sermons de ce genre. Il le savait. Il n'avait pas besoin qu'on le lui dise. Il était bien conscient que si lui-même ne fournissait aucun effort, personne ne pourrait le faire à sa place. Et il savait aussi que de dire qu'il était stupide servait de bonne excuse. En le croyant complètement abruti, il se persuadait que ses professeurs lui ficheraient la paix.

Bah non.

Pas son nouveau professeur de sciences, le bien nomme Giacomo Roccelli. Lui ne semblait pas dupe et il donnait l'impression de lire en Shin comme dans un livre ouvert. Ce qui, bien évidemment, ne plaisait pas du tout au rouquin. Oui, il était un adolescent, il tombait petit à petit en dépression mais surtout, il était à un âge où les personnes se rebellaient contre l'autorité et refusaient l'aide - souvent inutile - qu'on leur proposait.

Le professeur se leva pour s'éloigner vers la fenêtre et Shin se sentit soulagé. Au moins, il allait pouvoir relever la tête et l'observer à nouveau, à la dérobée. Serait-il capable un jour d'être aussi classe que cet homme ? Il était fort à parier que non. Un homme handicapé n'avait aucune classe. Jamais. Il était et serait l'objet des moqueries. Ca ne changerait pas. Les paroles qui suivirent le laissèrent perplexe. N'était-il pas en train de lui faire une psychanalyse de comptoir, là ?

Son oeil unique fut pris dans le regard sombre de Giacomo et Shinichi en resta complètement déboussolé pendant une seconde. Juste une. Parce que le professeur parla de nouveau. Et Shin sentit son calme et son sang-froid le quitter doucement mais sûrement. Effectivement, son professeur de sciences qui ne le connaissaient ni d'Eve ni d'Adam s'amusait à lui faire une psychanalyse miteuse sur des faits dont il ne connaissait rien. N'avait-il pas même lu son dossier sur lequel tout était noté ? Son agression, son coma, son oeil perdu, son amnésie ...

Shin se renfrogna davantage et l'air un peu niais qu'il gardait souvent sur son visage le quitta. Il se leva, toisant le professeur de toute sa hauteur. Il se sentait en danger, en fait, et voulait à tout prix fuir.

" J'peux savoir en quoi ça vous regarde ? Vous êtes aveugle ou bien stupide ? " s'emporta le rouquin, tremblant. " Ce cache-oeil que je porte, vous pensez que c'est pour me donner une allure de pirate ? Vous croyez que je veuille ressembler à Jack Sparrow ? "

Il serra les poings. Il était venu se faire remonter les bretelles pour son manque de sérieux. Il n'était pas venu pour faire face à un professeur un peu trop loquace et dérangeant.

" Ou vous souhaitez que je vous montre ce qu'il cache ? " demanda-t-il, le mettant au défi. Parce que sous son cache-oeil, ce n'était absolument pas joli à voir. De profondes cicatrices entaillaient la chaire, l'oeil avait été détruit et personne n'aimerait avoir à voir cette barbarie.

" La blessure n'est-elle pas assez voyante ? "

C'était la première fois que Shinichi osait montrer l'horreur qui se cachait sous son bandeau. Pourquoi l'avait-il montré à cet homme ? Qu'avait-il cherché à faire en lui montrant pareil massacre ? A part l'écoeurer et le faire fuir, qu'attendait-il ? Etait-ce là sa seule façon de se protéger en faisant fuir le premier être à se soucier quelque peu de lui ? Tremblant suite à sa colère soudaine, il se laissa faire quand son professeur attrapa sa main qui tenait son cache-oeil, lui demandant de le rabaisser. Il le fit, la gorge serrée. Il était arrivé à ses fins, non ? Evidemment que sa blessure était dure à voir. La main de Giacomo lâcha la sienne et un frisson parcourut le corps du rouquin alors qu'à nouveau, son oeil unique fixait ses chaussures.

" Dé ... désolé ... " murmura-t-il si bas qu'il doutait que son professeur l'ait entendu. Le mal était fait de toute façon. Il avait insulté son professeur de sciences, lui avait manqué de respect et lui avait collé de quoi faire des cauchemars pendant des jours et des jours sous les yeux. Assez atypique comme première rencontre !

Ainsi, Monsieure Roccelli l'avait remarqué ? Il avait vu son désarroi et sa peine au cours des quelques petites heures qu'ils avaient eu ensemble ? Avait-il fait de même avec les autres élèves ou l'avait-il seulement remarqué lui ? Il releva la tête pour pouvoir regarder son professeur. Malgré la tension qui règnait, Shin ne put réprimer un léger sourire flotter sur ses lèvres quand son aîné chercha à savoir si les choses étaient plus intéressantes dehors. Il aurait aimé que ce soit seulement cela. Shin aurait adoré que ce soit une fille qui attire tant son regard dehors. Mais ce n'était pas le cas. D'ailleurs, il se rendit compte en l'instant que jamais il ne s'était intéressé aux filles. Elles étaient bruyantes, effrayées d'un rien et trop préoccupées par le physique. Pour lui, trouver une petite amie était perdu d'avance.

A ces pensées, son sourire s'était évanoui tout comme celui de Giacomo qui préféra s'éloigner vers la machine à café, tournant le dos à Shinichi. Quelques secondes auparavant, le regard de l'homme s'était plongé dans le sien et le rouquin s'était senti en sécurité. Etrangement. Il avait eu l'impression que rien de mauvais ne pourrait lui arriver. Parce qu'il n'était pas seul. Parce que son professeur dégageait une aura rassurante. Parce qu'il n'avait pas aimé la tristesse dans les yeux noirs de l'homme face à lui. Parce que ses paroles prouvaient qu'il n'avait pas cherché à lui faire de mal.

Alors partir maintenant, même si son professeur le lui accordait, le laissait avec une étrange sensation d'inachevé. Il ne pouvait pas partir. Il n'avait pas envie. Plus maintenant.

" Mais sachez le... Votre oeil à lui seul a plus d'éclat que les deux miens..."

Shinichi écarquilla les yeux et sentit son coeur s'emballer. On ne lui avait jamais dit ce genre de choses, surement parce qu'on avait jamais cherché à le regarder vraiment dans les yeux. Ses camarades avaient tendance à fuir son regard, certainement peu à l'aise de devoir regarder un seul et unique oeil plutôt que deux. Giacomo avait regardé cet oeil émeraude et lui avait trouvé de l'éclat. Il avait pris le temps de l'observer, de le détailler. Et il n'en fallut pas plus pour émouvoir le jeune homme, qui, malgré le fait qu'il tentait de se cacher derrière des vêtements trop larges, était bien plus faible psychologiquement et physiquement qu'il ne voulait le montrer.

La boule qui serrait sa gorge monta encore lui brûlant les yeux. Il était faible. Si faible ...

" Mon frère .... " commença-t-il d'une voix peu assurée, le corps tremblant. " Je crois que c'est mon frère qui m'a pris mon oeil .... " avoua-t-il. A nouveau, c'était la toute première fois qu'il parlait de ses soupçons concernant son frère aîné à quelqu'un. Même à ses parents il n'en avait dit mot. " On m'a pris presque deux ans de ma vie ... Je ne me souviens de rien mais .... je le sais ... pourtant je sais que c'est lui qui m'a fait ça .... "

Des larmes quittèrent son oeil gauche alors qu'il levait son bras pour le masquer, les épaules se secouant sous les sanglots qu'il retenait difficilement.

Dans les yeux d'un élève, un professeur était toujours quelqu'un qui n'était pas humain, qui ne ressentait rien et qui prenait plaisir à voir ses élèves souffrir. Un professeur faisait parti d'une race à part que personne ne pouvait comprendre. Giacomo ne semblait pas être de cette race là. Comment Shin aurait-il pu deviner que son professeur de sciences, pourtant doux et gentil même si trop franc, allait autant souffrir de ses malheurs. Shin détestait faire du mal aux gens. Surtout à ceux qui ne lui avaient pas fait de mal et qui, au contraire, cherchaient à l'aider. Penser que Giacomo pouvait ressentir autant de douleur et se sentir coupable de cela, c'était étrange pour Shinichi qui n'avait pas l'habitude de se soucier des autres. De toute façon, quand on seul, comment se soucier de quelqu'un d'autre que de soit ?

Une main sur son épaule le fit sursauter et il baissa son bras pour regarder son professeur qui l'avait rejoind. Shin déglutit difficilement, troublé, honteux aussi quelque peu de se trouver si faible face à cet homme mais ressentit pourtant une vague de soulagement l'envahir quand il se sentit blotti contre son professeur, serré dans ses bras. Le coeur du garçon se mit à battre plus fort et il en écarquilla les yeux, troublé, incapable de lui rendre son étreinte tant il en était surpris. Pourtant, il aurait aimé se serrer contre lui, pleurer toutes les larmes qu'il contenait en lui depuis trop longtemps. Il aurait aimé pouvoir profiter de cette chaleur. Parce qu'il se sentait en sécurité, là.

Pourtant, le professeur le lâcha et recula de plusieurs pas, le regard fuyant. Shinichi sentit son coeur se serrer. Avait-il fait quelque chose de mal ? Et en plus, son professeur de sciences s'excusait. Pourquoi donc ? Le jeune étudiant ne comprenait plus rien et se sentait encore plus gêné face à la gêne que semblait ressentir son aîné.

" Non.. c'est ... "

C'est quoi ? C'était quoi ? Ils n'avaient rien fait de mal, non ? Au contraire, Shinichi avait appréçié cet instant. Lui aussi finit par détourner le regard, préférant regarder le sol alors qu'il percevait les mouvements de son professeur qui retournait s'asseoir sur la chaise, buvant une grande gorgée de café.

"Et... tu en as déjà parlé ? A ta famille, tes amis..."

Shin se pinça les lèvres.

" Non... je ... je ne peux pas en parler. Mes parents ... ils ne me croiraient pas ... Et puis ... "

Il se tassa sur lui-même plus honteux que jamais.

" Je n'ai pas d'amis " murmura-t-il. S'il n'était pas encore pathétique, là, ça devait être le cas. Il faisait pitié mais dans le mauvais sens du terme. Il était pitoyable. Pathétique. Inutile.

Giacomo tenta de trouver une solution, tenta de comprendre ce par quoi passait le garçon mais ne lui fit pas de faux encouragements, ne lui servit pas les fausses paroles qu'on lui avait tant donnée à son réveil de son coma. Tout n'irait pas mieux, et oui, il était défiguré. Il le serait toujours. Inutile de mentir. Il était reconnaissant à son professeur de ne pas faire de même.

" J'ai compris .... je dois laisser faire le temps ... " répondit-il, rougissant alors qu'il croisait à nouveau le regard de son aîné. Il tremblait toujours autant, et était de plus en plus gêné. Pourtant, il ne voulait pas partir. De nouvelles larmes gagnèrent son oeil. Après tout, Giacomi ne lui avait-il pas conseillé de pleurer pour se sentir mieux ?

" Dites .... je .... euh .... "

Il se mordilla la lèvre inférieure, son oeil émeraude pétillant d'une nouvelle lueur.

" C'est ok si vous me serrez encore contre vous ? "

Timide. Gêné. Mais il en avait besoin. Il avait besoin de s'accrocher à quelqu'un qui se préoccupait réellement de lui.

" S'il-vous-plait ... " ajouta-t-il d'une voix pleine de sanglots.

L'attente fut longue. Shinichi regretta un instant sa demande. Après tout, il ne convenait pas de demander pareille chose à un professeur !! Si quelqu'un entrait et les voyait enlacer, beaucoup de mauvaises conclusions pourraient ne être détuites et il était certain que Giacomo aurait sans doute des problèmes. Lui, il ne se préoccupait pas d'en avoir. A vrai dire, il s'en fichait bien. S'il était ici, c'était uniquement pour fuir son frère et ses souvenirs plus ou moins flous. Il était ici pour se reconstruire mais tout ce qu'il avait gagné à fuir ainsi c'était sa destruction. Il se détruisait petit à petit et avait besoin expréssément d'une bouée de sauvetage. Il avait refusé bien des aides. Des médecins, des psychologues, même un camarade de classe relativement gentil mais à qui il s'était refusé de se livrer.

Alors pourquoi face à ce professeur, il se sentait si faible et si en confiance ? Etait-ce à cause du fait qu'il avait l'impression que son visage lui était familier ? Etait-ce l'aura qu'il dégageait ? Ou le fait qu'il semblait tout autant que lui avait besoin d'être sauvé également ? Deux perdus faisaient-ils un trouvé ? Deux âmes meurtries pouvaient-elles se panser l'une auprès de l'autre ?

La réponse lui vint quand les bras de son aîné l'enserrèrent avec tant de tendresse quand il en fut bouleversé. Oui. Son âme meurtrie se sentait profondément apaisée dans les bras de cet homme. Les sanglots redoublèrent alors, de soulagement cette fois. Il noua ses bras autour de la taille du professeur et se serra contre lui, sans pudeur, avec confiance et besoin. Il tremblait, son coeur battait si fort mais il se sentait pour une fois si bien... Peu à peu, ses sanglots se tarirent et les larmes cessèrent de couler. Il ferma les yeux, se laissant aller contre la poitrine de l'Italien et soupira doucement. Il était bien ... Ses mains, précédemment crispées sur la veste haute couture, se détendirent également et restèrent simplement posées à plat.

Il se fichait de tout, ne se demandait même pas ce qu'il pourrait inventer comme excuse si quelqu'un entrait. En fait, il s'en fichait complètement.

La voix de Giacomo s'éleva, murmurante, demandant s'il se sentait mieux. Sans s'écarter, Shin confirma d'un mouvement de tête. Ca allait mieux. Ca n'avait jamais été mieux. Il avait l'impression d'être compris et soutenu. Il avait l'impression qu'on s'intéressait réellement à lui. Et pas pour de mauvaises raisons.

Tout doucement, quand le professeur lui parla de nouveau, Shinichi leva la tête pour croiser le regard sombre de l'Italien. Son oeil était rougi par les larmes et ses traits étaient quelque peu tirés, pourtant, il se permit d'esquisser un sourire, doux, plein de gratitude, ému.

" Oui ... je ... ça va aller maintenant ... " répondit-il d'une voix enrouée par les sanglots versés. " Merci .... "

Lui ne s'était même pas rendu compte que Giacomo était passé du vouvoiement au tutoiement. Ca ne l'avait pas choqué et d'ailleurs, il mit un instant avant de se rendre compte qu'il était toujours blotti dans les bras de son professeur de sciences. Quand il le remarqua, il se mit à rougir à outrance et s'écarta, visiblement très intimidé.

" Euh ... pardon... c'est que .... j'étais bien .... " avoua-t-il en enfonçant ses mains dans ses poches pour tenter de dissiper sa gêne.

Le sourire de Giacomo réchauffa Shinichi. Le sourire du professeur était doux et sincère et il appréçiait la chaleur qui entourait son coeur en cet instant. Il se sentait étrangement bien plus léger et avait l'impression qu'il avait trouvé à qui parler. Lui n'aimait pas forcément s'épancher sur sa vie mais il aimait bien l'idée d'avoir une présence auprès de lui même s'ils n'échangeaient pas de mots. Tout à ses réflexions, il remarqua que son aîné le fixait intensément et il s'en sentit troublé. Pourquoi Mr Roccelli le regardait-il de cette façon ? Se posait-il des questions ? Etait-il ennuyé par sa présence ?

Gêné, Shin se râcla la gorge et détourna les yeux un instant avant de les reposer sur son professeur qui s'excusa de son comportement. Il avait même ri. Doucement. Le jeune homme se pinça les lèvres et soupira doucement. Oui. Même si la gêne était présente, il se sentait tout de même bien et apaisé.

Son oeil unique suiva les mouvement du professeur. Un frisson le parcourut quand il sentit sa main sur son épaule un instant et il esquissa un sourire. Il se sentait revivre doucement. Il ressentait plein de sensations agréables et il n'en avait plus l'habitude. C'était si agréable de ressentir tout cela !!

Un oeil sur son professeur, il l'observa ranger ses affaires et se demanda quoi faire. Cependant, si Giacomo n'avait plus voulu de sa présence, il l'aurait congédié. Il prit alors le parti de l'attendre sans bouger, histoire de savoir ce que désirait faire son professeur. Il était bien auprès de lui alors s'il pouvait en profiter encore un peu, ne serait-ce que quelques minutes avant de retourner affronter les moqueries et les méchancetés, ça lui plairait.

D'ailleurs, il sentit son coeur bondir quand il entendit son aîné lui faire savoir qu'il se rendait au pavillon du soleil. Shin enfonça ses mains dans le fond de ses poches et s'approcha de la sortie quand son professeur l'y invita. Il ne souriait plus mais son visage était éclairé. Il était plus apaisé. Il se sentait bien malgré son oeil bouffi par les larmes.

Une fois dehors, il fut saisi par le vent froid et réprima un frisson. Il aurait mieux fait de prendre son manteau avant de venir mais il pensait ne pas en avoir pour longtemps. Tant pis. Il n'allait pas tarder à retourner dans sa chambre. Il prendrait une douche bien chaude et irait se pelotonner sous les draps si on ne les lui avait pas souillés comme la dernière fois ...

"Tu permets ?"

Interloqué, Shin tourna la tête vers l'Italien et le vit retirer sa veste pour la lui poser sur les épaules. Il écarquilla les yeux, surpris, et sentit son coeur s'emballer avec vigueur alors qu'il sentait la chaleur de la veste de son professeur envelopper son corps frêle.

" Mais .... " commença-t-il, troublé, prêt à lui demander ce qu'il en adviendrait de lui ! Il ne voulait pas que la seule personne qui s'occupe de lui puisse prendre froid. Mais pourtant, il ne dit rien. Parce que les paroles de Giacomo étaient touchantes. Parce que s'il avait agi ainsi, c'était pour son bien. Ca ne servait à rien de lui faire savoir que lui allait prendre le froid. Alors il esquissa un léger sourire, plein de douceur, et de reconnaissance.

" Merci .... " murmura-t-il, ému, en enfilant la veste pour la sentir davantage contre lui. Il en respira l'odeur et ferma les yeux, rougissant. Elle sentait son odeur. Cette odeur qui l'avait rassuré alors qu'il était blotti dans ses bras forts et réconfortants. Cette odeur qu'il pourrait reconnaître sans soucis.

Ils marchèrent côte à côte en silence quand les hurlements hystériques des filles de la Day Class firent sursauter Shinichi, encore traumatisé par son 'agression' même s'il n'en gardait pas le moindre souvenir.

" Ce sont les élèves de la Night Class .... elles .... les filles de la Day ... elles sont toujours hystériques quand ils quittent leur pavillon. Parce qu'ils ... "

Il détourna les yeux, se tassant un peu sur lui-même.

" Ils sont beaux alors toutes les filles sont amoureuses d'eux. " annonça-t-il d'une voix qui n'était plus chaleureuse ou douce. Elle était même dure. Parce qu'il était jaloux. Parce que lui savait qu'aucune fille ne pourrait tomber amoureuse de lui. Il n'était pas dupe. Ni stupide. Et c'était douloureux .... " Hâtons-nous, je ne voudrais pas que vous preniez froid... " dit-il après s'être repris, arborant de nouveau un regard doux et tendre à l'égard de son professeur sans même qu'il ne s'en rende compte.

Le froid était glacial et Shinichi s'en voulait d'accaparer la veste de son professeur. Pourtant, il ne voulait pas s'en détacher. Parce que l'attention de Mr Roccelli était vraiment gentille et émouvante et il aimait l'odeur qu'elle dégageait. Elle sentait comme lui. Et cette odeur le rassurait. Il avait l'impression de ne plus se sentir seul. Cette sensation lui revint pourtant quand ils croisèrent les élèves de la Night Class qui gagnaient le bâtiment principal sous les hurlements des filles de la Day pour commencer leurs cours. Shin sentit un pincement fort au coeur. Quand il tentait de se tourner vers son passé, il ne voyait que du vide et quand il regardait vers l'avenir, il n'y voyait rien de bien glorieux.

Il lui manquait un oeil. Comment pourrait-il plaire à une fille ? Comment pourrait-il être crédible pour trouver un emploi ? Tout cela faisait qu'il se sentait encore plus misérable quand les élèves si beaux et si brillants de la Night Class avaient le malheur de croiser sa route. Que valait-il à côté d'eux ? Pas grand chose malheureusement et il était persuadé que Giacomo appréçierait d'avoir des élèves comme eux et non pas des fumistes tels que lui. Il n'était qu'une erreur, après tout ...

Rapidement, ils gagnèrent tous deux le Pavillon du Soleil. Shin était plongé dans ses pensées et n'entendit pas les premières paroles de son professeur. Il reprit pied avec la réalité quand il sentit la main chaude de Giacomo se poser sur son épaule. Il sursauta et planta son oeil unique dans le regard sombre de son aîné qui tentait de le réconforter à sa manière. Lui aussi semblait avoir beaucoup souffert de la solitude.

Deux perdus faisaient-ils un trouvé ? Pouvaient-ils l'un et l'autre panser leurs anciennes blessures et leurs souffrances actuelles ?

"Je sais ce que tu ressens... Crois moi. Quand j'avais ton âge, personne ne ce souciait de moi ! Et oui, je n'ai pas toujours eu cette apparence loin de là ! Quand j'étais plus jeune, j'étais un intello à lunettes aux cheveux en batailles et que personne n'approchait parce qu'il passait le plus clair de son temps à bosser ou à être scotché à son ordinateur... Du moins, ça c'est ce que tout le monde pensait."

Shin appréçia à sa juste valeur la confiance que lui accordait son professeur de sciences en lui révélant ainsi une partie de son passé. Cependant, il se permit de le reprendre sur quelque chose.

" C'est faux ... moi je .... moi je vous aurais approché .... " murmura-t-il, visiblement ému.

Ils reprirent leur chemin et montèrent les escaliers menant aux diverses chambres des élèves et des membres du personnel. Chacun avait leur aile. Arrivés devant ce qui devait être la chambre de Giacomo, ce dernier prit congés en notifiant à Shin qu'il pouvait venir le déranger en pleine nuit. Evidemment, Shinichi se dit que jamais il ne pourrait se permettre de faire cela. Il n'était pas du genre à venir ennuyer les gens et ne voulait en rien s'imposer à son professeur ...

Pourtant ...

" Merci ... alors .... Bonne nuit professeur .... "

Il baissa les yeux, fuyant puis fit demi-tour, oubliant complètement qu'il portait la veste de Giacomo. Il tourna au couloir suivant et gagna sa chambre. Une fois à l'intérieur, il ne put s'empêcher de pleurer. Trop d'émotions, trop de sensations. Trop de tout. Et alors qu'il cherchait un mouchoir pour essuyer ses larmes, il se rendit compte qu'il portait toujours la veste de son professeur. La veste de Giacomo. Frissonnant, il en respira l'odeur et il se sentit moins seul. Il ferma les yeux et prit une profonde inspiration. Quel idiot.

La lui rendre ? Attendre ? Il avait besoin d'y réfléchir, tout troublé qu'il était .....



[ HRP : c'est fini pour moi ici, je te laisse poster pour conclure et je rouvre un nouveau topic au niveau des chambres si ça ne te dérange pas ]

[Aucun problème ! Je conclue et j'attends que tu fasse le nouveau topic alors ! ^^]

Giacomo resta un instant immobile sur le pas de sa porte, le regard fixé sur Shinichi qui s'éloignait, fuyant et la tête basse. Le regard du professeur se fit excessivement triste et il soupira profondément en secouant la tête.
Décidément, il était bien trop sensible et ce poste de professeur ne lui convenait décidément pas. Le fait de se retrouver avec des élèves lui rappelait cruellement la précarité de sa situation.
Il rentra à pas feutré dans sa chambre, alluma distraitement la lumière qui mit quelques secondes avant de s'allumer en tressautant faiblement puis ferma la porte derrière lui doucement.
Il resta un instant adossé à la porte, le regard perdu dans l'immensité du plafond blanc et une main passant dans ses cheveux d'ébènes.
L'italien ne savait même pas à quoi il pensait. Il était dans une sorte d'état second et rien ne venait percer son esprit.
Sans qu'il comprenne pourquoi, un visage apparut devant ses yeux. Un visage pur et sans tâche, un visage d'ange encadré par de longs cheveux blonds platines et des yeux bleu comme le ciel d'été dépourvu de nuage.
Le visage de la femme qu'il avait aimé apparaissait devant ses paupières presque à demi clauses tandis qu'un profond sentiment de manque envahissait sa poitrine et la compressait à l'extrême.
Maria... Maria lui manquait à mourir...
Il avait l'impression que chaque bouffée d'air qu'il respirait sans qu'elle soit près de lui était une véritable torture. Que chaque seconde de sa vie où elle n'était pas là pour lui parler comme elle savait si bien le faire, lui créait un sursaut de douleur dans la poitrine.
Giacomo sentit des larmes lui piquer les yeux et il ferma les paupières en secouant la tête. Il s'éloigna de la porte et jeta son cartable sur son bureau encombré de paperasse. Puis, il s'approcha de son miroir cloué au mur et se regarda un instant.
Certes, il n'était pas laid mais il aurait donné tout ce qu'il avait pour revoir ne serait ce qu'une fois le sourire de la femme qu'il avait aimé plus que tout au monde.
L'italien pesta faiblement et s'assit brutalement sur son lit, la tête basse et le regard éteint. Soupirant de nouveau, il retira sa cravate d'un mouvement vif et fit de même avec sa chemise qu'il laissa ouverte. Mais il y eut alors comme un éclair, comme quelque chose de soudain et Giacomo porta sa tête à ses mains, s'effondrant en pleurs presque silencieux mais fort et secouant son corps tout entier.
Pourquoi le monde était il si cruel ? Pourquoi l'avoir séparé de la seule qui ait jamais pu le percer à jour...
Il ne voulait plus, ne pouvait plus vivre sans elle.